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Insolites, elle ont été dénichées au sein de l'iconographie ou de la littérature
relatives à l'orgue et à la musique, pour votre plaisir.
JOUER POUR DÉGUSTER
DE L'ORGUE À SAVEURS AU PIANOCKTAIL
L'orgue à saveurs
Sans doute avez-vous entendu parler du « clavecin oculaire », du Père jésuite Louis-Bertrand Castel ? Cet instrument, imaginé pour « rendre visibles les sons », a été conçu pour que chaque touche du clavier dévoile une étoffe de couleur donnée. Castel entendait ainsi composer la « Musique des couleurs ».
Même si aucune certitude n’existe quant à l’achèvement, toujours repoussé, de ce clavecin perfectionné, l’instrument a fait couler beaucoup d’encre pendant plusieurs décennies, et n’a pas échappé aux moqueries, comme en témoigne cette caricature (en couleurs) du dessinateur Charles-Germain de Saint-Aubin (1721 - 1786).
Caricature du clavecin oculaire du Père Castel
Charles-Germain de Saint-Aubin
Source : Waddesdon, The Rothschild Collection (The National Trust)
Public domain, via Wikimedia Commons

Le Père Castel, qui a émis l’idée de son invention en 1725 dans le Mercure de France, a publié l’année suivante, dans la même revue, une série de commentaires baptisés « Difficultez », sous forme de questions-réponses. Il y suggère, en particulier, la conception de nouveaux claviers destinés à rendre les sons perceptibles par les autres sens que l'ouïe et la vue, et notamment le goût.

En 1755, le Père Polycarpe Poncelet, abbé des Récollets et agronome, s’empare de la suggestion du Père Castel et développe son projet dans la dissertation préliminaire de son ouvrage « Chimie du goût et de l'odorat, ou Principes pour composer aisément, & à peu de frais, les liqueurs à boire, & les eaux de senteurs » (publié anonymement).
En revanche, le contenu du livre qui porte sur l'élaboration par distillation des eaux de vie, et sur celle de diverses infusions et préparations, savoureuses comme odorantes, à partir de fruits et de baies, ne fait plus état de ce projet.
Ouvrage publié anonymement en 1755,
écrit en totalité par l'abbé Poncelet
Par sa dissertation préliminaire, l’abbé Poncelet se rallie aux idées qui ont cours au Siècle des Lumières sur l’harmonie des sensations, ainsi que sur l’aspect artistique dont la cuisine "moderne" commence à relever. L’abbé ne pouvait en effet ignorer l’ouvrage « La Science du Maître d’hôtel cuisinier » paru en 1749, dont la dissertation préliminaire prône « l’harmonie des saveurs », établissant une relation synesthésique entre le goût et la musique (voir le texte de Foncemagne).

Ouvrage publié
anonymement en 1749,
écrit (sauf la dissertation préliminaire) par Joseph Menon

La dissertation préliminaire
(non signée)
est de l'académicien
Étienne Lauréault
de Foncemagne.
Ce dernier écrit page vi :« Sera-t-on donc blâmé d'avancer qu'il y a l’harmonie des saveurs, comme l’harmonie des sons, et peut-être celle des couleurs et des odeurs ? […] J’avance qu’il règne entre les saveurs une certaine proportion harmonique, à peu près semblable à celle que l’oreille perçoit dans les sons, quoique d’une espèce différente »
C'est bien dans le même ordre d’idées, que l'abbé Poncelet écrit dans sa propre Dissertation préliminaire :
« il peut y avoir une musique pour la langue et pour le palais, comme il y en une pour les oreilles ».
Selon l’abbé, contrairement au clavecin des couleurs qui n’a pas abouti, « il est possible de faire un instrument harmonieux des saveurs, […] comme un nouveau genre d’orgue, sur lequel on pourra jouer toutes sortes d’airs savoureux, pourvu que le nouvel organiste possède avec intelligence son clavier ». En effet, conformément à la gamme des saveurs qu’il propose, chaque touche du clavier engendrerait la perception d’une « saveur primitive, base de la musique savoureuse ». Cette dernière doit également obéir aux règles de composition qu’il préconise pour obtenir de belles consonances, musicales comme gustatives.

Gamme des saveurs de l'abbé Poncelet
p. xx de la Dissertation préliminaire de
Chimie du Goût et de l'Odorat .... (1755)
L’abbé Poncelet met son projet à exécution et construit l’orgue à saveurs. L’instrument est décrit en détail dans la dissertation préliminaire de la nouvelle édition totalement refondue de son ouvrage, parue en 1774. Cet orgue mixte comporte un seul clavier, deux soufflets manœuvrés au pied, une rangée de tuyaux et un nombre égal de fioles placées en regard, contenant les liqueurs aux saveurs primitives. En pressant une touche du clavier, on déclenche l’ouverture simultanée des soupapes d’un tuyau de l'orgue et de la fiole correspondante, tous deux associés à la note jouée. Ainsi se produisent ensemble l’émission de sons et la distribution de liqueurs recueillies dans « un grand gobelet de cristal ».
Poncelet note que si le rendu sonore est discordant, on ne trouve « dans le réservoir commun qu’une liqueur détestable. Au contraire, si l’on touche le clavier savamment, de manière à former des combinaisons de tons harmoniques, la liqueur qui se trouve dans le réservoir est admirable ».
Il pense ainsi avoir démontré « qu’il y a véritablement une musique pour la bouche comme il y en a une pour les oreilles, et que les principes de ces deux musiques sont absolument les mêmes ».
Les saveurs de l'orgue
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Karl-Joseph Riepp (1710 - 1775)
Portrait peint par Andreas Brugger
en 1774 à Salem
© Amis de l’Orgue de la Cathédrale de Dijon
Né en Allemagne en 1710, installé à Dijon en 1743, marchand de vins et propriétaire de vignobles, K.-J. Riepp, naturalisé français en 1747, était bourguignon d’adoption. Connu pour les orgues qu’il a construits en France (Besançon, Dijon, Dole, Beaune, …), il a aussi exercé dans sa région d’origine, la Souabe, en particulier à l’abbaye de Salem où, à la demande de l’abbé Anselm II, il a édifié trois orgues (entre 1766 et 1774). C’est donc là qu’il a écrit le curieux document nommé ci-dessus, en allemand, à l’occasion du carnaval qui, se déroulant de l’Épiphanie à Mardi-gras, est le moment de faire bonne chère avant le jeûne du Carême.
Pour rendre l’orgue compréhensible à tous, K.-J. Riepp fait correspondre à chacun des éléments de cet instrument, un composant de la cuisine et, aux jeux, des plats cuisinés. Voyez les exemples ci-dessous.
Associer, non pas les touches du clavier, mais les jeux de l’orgue à des saveurs, et même aux saveurs complexes de mets élaborés : voilà la trouvaille inattendue que nous réserve le célèbre facteur d’orgues Karl-Joseph Riepp, dans un texte écrit en 1768, à l’abbaye de Salem, intitulé : « Le facteur d’orgue et quisinier pour Carnevalle fasnacht * » et dont le manuscrit est dorénavant conservé à Karlsruhe.
* « Fastnacht » désigne le carnaval souabe et alémanique.


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Nature morte aux deux perdrix
Luis Eugenio Meléndez
peinte entre 1769 et 1800
© Musée du Prado, Madrid
Domaine public

Nature morte
aux légumes et au gibier
Anonyme vers 1740
© Lyon MBA, Photo Louis Houdus
Domaine public

Des registrations sont données sous forme de menus destinés à diverses catégories de personnes (officier, guerrier, facteur d’orgues, amateur ou connaisseur, vieillard, prélat…). Des exemples sont joints ci-dessous. Ainsi présenté, l’art de la combinaison des jeux est sensé être moins ésotérique pour le profane.

K.-J. Riepp ne manque pas d'adresser un clin d'œil à ses lecteurs dans sa conclusion :
"Ces aliments peuvent aussi être consommés pendant le jeûne, ou même avant un repas, car les facteurs d’orgues ne sont que de piètres cuisiniers."
Que penser de l'emploi par K.-J. Riepp d'une telle métaphore culinaire ? Le sachant assez cultivé, et le devinant bon vivant, on peut penser qu’il connaissait les ouvrages cités dans la partie précédente qui traitent de gastronomie, tout en rapprochant harmonies gustatives et harmonies musicales.
Peut-être, K.-J. Riepp a-t-il voulu, certes témoigner de sa fantaisie et de son humour, mais aussi s’inscrire dans les courants de pensée de son époque, le facteur d’orgues étant, tel le cuisinier, un « compositeur des saveurs » ?
L'orgue à bouche et le pianocktail
Dans son roman À Rebours, publié en 1884, Joris-Karl Huysmans met en scène le personnage décadent du duc Jean Floressas des Esseintes. Cet aristocrate névrosé souhaite s’isoler du monde extérieur et de la société qu’il déteste. Triste et malade, il s’évade de la réalité par l’ivresse. Pour jouir de toutes les saveurs que les boissons alcoolisées peuvent lui procurer, il utilise « l’orgue à bouche », instrument destiné à créer des polyphonies gustatives.

Joris-Karl Huysmans et son chat
Portrait par Eugène Delâtre inclus dans le manuscrit de À Rebours (1884)
© BNF-Bibliothèque de l'Arsenal
Il s’agit d’un assemblage de barils à liqueurs et de pistons, manœuvré par des boutons pour délivrer les alcools souhaités. Si, dans l’imagination de l’auteur, l’aspect de la machine apparente cette dernière à un orgue, il s’agit néanmoins d’un orgue muet. Chaque liqueur évoquant dans la bouche de des Esseintes le son et le volume sonore d’un instrument, la musique ne résulte que d’une expérience synesthésique :« il était parvenu, grâce à d’érudites expériences, à se jouer sur la langue de silencieuses mélodies, de muettes marches funèbres à grand spectacle, à entendre, dans sa bouche, des solis de menthe, des duos de vespétro et de rhum. »
Notons que le fonctionnement de l’orgue à bouche évoque en tout point l’orgue à saveurs de l’abbé Poncelet, dont il est admis que J.-K. Huysmans s’est inspiré, même si l’orgue de l’abbé permettait, lui, de jouer de la musique.
Un point commun, néanmoins :
il n’a été publié, à notre connaissance, aucune représentation iconographique de chacun de ces orgues.
À nous de les imaginer …

Des Esseintes
imaginé par Odilon Redon (1888)
ami de J.-K. Huysmans
Lithographie
Source : gallica.bnf.fr/BNF
Dans l’Écume des jours (paru en 1947), Boris Vian conte la destinée de Colin et de Chloé, la femme qu’il aime, qui tombera malade et mourra. La musique, en particulier de jazz, est constamment associée à l’amour dans ce roman.
Au début, Colin, qui vit dans une atmosphère rayonnante, construit un pianocktail, instrument alliant en quelque sorte le piano et l’orgue à bouche (alors actionné par les touches), et permettant la constitution de cocktails dont la composition dépend du morceau joué.
À son ami Chick, Colin explique :« À chaque note, … je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz [sic], il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité… Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. »
• Cet instrument ludique a été construit dans les années 2010 par Voel Martin et Aurélie Richer, et une démonstration en a été donnée sur France 2 dans l’émission La Boîte à Musique de Jean-François Zygel en 2011 (où il est appelé piano-cocktail) : Cliquer pour Regarder et déguster.
• Un autre pianocktail a été réalisé plus récemment par Cyril Adam et Cédric Moreau ; on peut l’écouter et le voir en cliquant sur : Regarder et déguster

Boris Vian en 1948
Féru de jazz, et trompettiste
Studio Harcourt


Édition originale, 1947
Sources et crédits :
• R. P. Castel, Clavecin pour les yeux, avec l’art de Peindre les sons et toutes sortes de Pièces de Musique, Mercure de France, 1er nov. 1725, pp. 2552-2577
• R. P. Castel, Difficultez sur le clavecin oculaire, avec leurs réponses, Mercure de France, 1er mars 1726, pp. 455-461
• [Polycarpe Poncelet] Chimie du goût et de l'odorat, ou Principes pour composer aisément, & à peu de frais, les liqueurs à boire, & les eaux de senteurs, Paris, Imprimerie P. G. Le Mercier, 1755
• [Joseph Menon] La Science du Maître d’hôtel cuisinier, Paris, Paulus-du-Mesnil, Imprimeur-Libraire, 1749. La Dissertation préliminaire sur la Cuisine moderne, non signée, est d’Étienne Lauréault de Foncemagne.
• [Polycarpe Poncelet] Nouvelle Chymie du goût et de l’odorat, ou l’Art de composer facilement, & à peu de frais, les liqueurs à boire, & les eaux de senteurs, Nouvelle édition, Paris, Pissot, Libraire,1774 (2 tomes en un volume)
• P. M. Guéritey, Karl Joseph Riepp et l'orgue de Dole, Imprimerie Férréol, Lyon, 1985 (2 tomes)
• Tables de registration pour la musique d'orgue française du XVIe au XIXe siècle, Compilation de Roland Lopes, 2007-2012
• Orgue et gastronomie : L'art d'accommoder les jeux, Dr Jean Vitaux, Canal Académies, 15 juin 2008,
• Borgne (16 décembre 2022). La symphonie des goûts de des Esseintes : l’orgue à bouche de Huysmans. Master Littérature, Savoirs et Culture numérique. https://doi.org/10.58079/r37s
• Dans les exemples de menus : couronne royale allemande : CC BY-SA 3.0, Via Wikimedia Commons ; grappe de raisin : Etiennekd, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons ; Figurine du musicien ambulant, attribuée à J. J. Kändler, produite entre 1735 et 1756, Manufacture de Meissen, © Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
SIFFLER EST-CE JOUER ?
LE CALLIOPE OU L'ORGUE À VAPEUR
Vers la moitié du XIXe siècle, une idée surgit. Pourquoi ne pas injecter de la vapeur d’eau dans une série de tubes métalliques pour obtenir des sons ? Le trompettiste, le tromboniste et bien d’autres musiciens insufflent bien un air chaud et humide dans leurs instruments. Ainsi naîtrait un orgue à vapeur.
À cette époque de révolution industrielle, l’énergie fournie par la vapeur est reine et l’Amérique est particulièrement novatrice dans ce domaine. C’est là que l’orgue à vapeur voit le jour. Le Monde illustré du 28 janvier 1860, dans son article consacré à l’invention de cet instrument, n’écrit-il pas :
« L'Amérique est le pays par excellence de l'excentricité. Depuis l'invention de la vapeur, c'est de là que nous sont venus les récits les plus merveilleux sur le téméraire emploi de ce moteur ».

Trompettiste et joueuse d'orgue hydraulique
Musée du Louvre
1er s. av. J.-C. - 1er s. ap. J.-C. -
© Romainbehar, CC0, via Wikimedia Commons
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On évoque plusieurs inventeurs, mais c’est Joshua C. Stoddard (1814 – 1902) de Worcester (Massachusetts) qui dépose un brevet, le 9 octobre 1855, pour un instrument constitué de quinze sifflets susceptibles de fonctionner à la vapeur ou à l’air comprimé. L’appareil est actionné par un rouleau muni d’une manivelle, à la manière des boîtes à musique ; Stoddard complète rapidement ce dispositif par un clavier, pour jouer de cet instrument à la manière d’un orgue. Il l’appelle "piano à vapeur".
Photographie de J. C. Stoddard
avec son calliope à vapeur
© Museum of Worcester (MA, USA)
De par sa conception, cet orgue à vapeur émet des sons aigus (tuyaux courts), forts et stridents (arrivée soudaine de la vapeur sous forte pression) et … pas toujours justes (influence de la température de la vapeur sur les notes jouées par les sifflets). On l’entend à plusieurs kilomètres à la ronde. Le volume du son est néanmoins un atout car il permet de surpasser le bruit de la vapeur qui s’échappe des sifflets. En effet, le fonctionnement à la vapeur est alors privilégié par rapport à l’air comprimé, car plus facile à mettre en œuvre. Est-ce ironiquement que cet instrument a été baptisé du doux nom de la mère d’Orphée, Calliope (littéralement belle voix), muse de la poésie et de l’éloquence ? Ou est-ce parce qu’on représente d’ordinaire cette muse soufflant dans une trompe ?

Calliope, mère d'Orphée,
muse de la poésie et de l'éloquence
Parchemin, XVIe s.
Source.gallica.bnf.fr/BNF

Par la suite, Arthur S. Denny, un employé de l’entreprise de Stoddard, améliore le calliope : « l’organiste » peut moduler l’intensité du son en agissant sur la pression de vapeur admise. Cherchant à vendre l’instrument en Europe, Denny le présente dans le Crystal Palace à Londres en novembre 1859, ce qui fait connaître l’orgue à vapeur sur ce continent, sans néanmoins obtenir le succès commercial escompté.
Le calliope, ou orgue à vapeur
Exposé au Crystal Palace (Londres) en novembre 1859 par A. S. Denny qui l'a modifié pour pouvoir moduler le volume sonore. Le bouilleur est sous le plancher.
© The illustrated London News, 3 déc. 1859, p. 11
Alors que Stoddard prédestine le calliope au remplacement des cloches dans les églises en raison de la puissance du son, c’est surtout sur les bateaux à vapeur, dans les foires et dans les cirques que l’instrument devient populaire. L'affiche ci-dessous en témoigne.
Légende du bas de l'affiche :
Calliope! The wonderful Operonicon or Steam Car of the Muses, as it appears in the gorgeous street pagent [sic] of the Great European Zoological Association !
British Museum, Royal Coliseum, Gallery of Art, World's Congress and Gigantic Circus! 12 tents! 900 men and horses! One ticket admits to all !.

Traduction de la légende :
Calliope ! Le merveilleux Opéronicon ou la Voiture à Vapeur des Muses, tel qu'il apparaît dans le magnifique spectacle de rue [sic] de la Grande Association Zoologique Européenne ! British Museum, Royal Coliseum, Gallery of Art, Congrès Mondial et Gigantic Circus ! 12 tentes ! 900 hommes et chevaux ! Un seul ticket pour l'ensemble !.
Affiche conservée par la bibliothèque du Congrès des USA, Washington
1874, chromolithographie 55 x 71 cm
© Gibson & Co, Public domain, via Wikimedia Commons
La plupart des calliopes à vapeur disparaissent au cours du XXe siècle quand, d’autres sources d’énergie s’imposant, le savoir-faire nécessaire au fonctionnement des chaudières à vapeur tend à disparaître. En outre, dès le début du XXe s., les calliopes fonctionnant à l’air comprimé et souvent grâce à des rouleaux, détrônent les calliopes à vapeur. Appelés calliaphones, ils sont à la fois plus sûrs et plus justes. Une entreprise américaine continue à en construire de nos jours.

Un calliaphone de la marque Tangley, datant d'environ 1920, équipe cette
Ford Model T (1915-1916) la transformant en "Music Truck" (camionnette musicale)
Technical museum of Vadim Zadorozhny, Arkhangelsk, Russie
© Stanislav Kozlovskiy, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Néanmoins, la charmante originalité et le pittoresque des calliopes à vapeur, ainsi que leur étonnante histoire, font que certains sont encore employés pour divertir, lors de diverses manifestations et sur des bateaux de tourisme naviguant, notamment, sur le Mississippi. Là également, une entreprise américaine en activité aujourd'hui a conservé le savoir-faire de leur fabrication.

Calliope à vapeur du Western Development Museum
(Saskatchewan, Canada)
Construit en 1955 par L.K. Wood (Mendon, Utah), il possède 32 sifflets en laiton. Acheté par le musée en 1959, il a été monté, ainsi que son bouilleur (contenant presque 6 m3 d'eau), sur le chassis d'un ancien véhicule de pompiers. Restauré en 1976, puis 2001, il a été une des attractions du pavillon du Canada lors de l'exposition de Vancouver en 1986. Il a circulé au sein du Saskatchewan pour animer diverses manifestations jusque vers la fin des années 2010. La corniste Arlene Shiplett, en était l'organiste attitrée.
© Western Development Museum, Saskatchewan, Canada
Calliope à vapeur du bateau Le Natchez (Nouvelle-Orléans)
Le bateau à aube, propulsé par un moteur à vapeur, Le Natchez propose des croisières touristiques sur le Mississippi à partir de la Nouvelle-Orléans. À chaque voyage, le calliope situé sur son toit (entouré d'un ovale rouge sur la photo) donne un petit concert avant le départ.


Pour écouter le calliope du Natchez, cliquez ici.

Le Natchez, bateau à vapeur et à aube, possède sur son toit un calliope à vapeur
© The New Orleans Steamboat Company
UnE ŒUVRE D'ART : LE calliope à vapeur
« La Vase et le Sel » de Bettina Samson
(Bègles près de Bordeaux)
Cet orgue à vapeur, inauguré en 2019, a été conçu par l'artiste Bettina Samson à la suite d’une commande de Bordeaux Métropole. Il est situé à Bègles, sur le chemin de halage longeant les rives de la Garonne et bordant un centre de traitement des déchets qui l’alimente en vapeur sous haute pression. Ses 38 sifflets, faits d’un alliage de cuivre, sont commandés par un automatisme réalisé avec des technologies numériques. Après la résolution de nombreuses difficultés techniques inhérentes au projet, l’orgue est fonctionnel depuis avril 2021.
L’œuvre relie l’usine au fleuve, et Bordeaux à son passé. L’installation "La Vase et le Sel" a, en effet, pour vocation de faire émerger l’histoire marquée par la Traite Atlantique et l’esclavage, lorsque « l’île à sucre » de Saint-Domingue (futur Haïti) était spécifiquement reliée à Bordeaux, port négrier et principal port colonial français au XVIIIe siècle.
C’est pourquoi l’orgue émet, tour à tour, des incantations, un Jazz Funeral presque dansé, les rythmes vifs de chansons paysannes haïtiennes, des polyphonies de flûtes ou des rythmiques électroniques (arrangements musicaux de Cédric Jeanneaud).

Ainsi, cet instrument rend hommage aux « voix » rassemblées lors de la cérémonie du Bois-Caïman (nuit du 15-08-1791) qui signe le début de la révolution menée par les esclaves et pour l’indépendance d’Haïti (1804). L’orgue est déclenché, du mercredi au dimanche, à 15h08, horaire destiné à rappeler la date de cette cérémonie.

Œuvre La Vase et le Sel (Hoodoo Calliope),
Bettina Samson
© J.-B. Menges, Bordeaux Métropole
Le Port de Bordeaux vu du quai des Farines, 1776
© Nicolas-Marie Ozanne, Public domain, via Wikimedia Commons
À noter que l’originalité sonore de l’instrument a stimulé la créativité du compositeur et percussionniste Xavier Roumagnac. Après avoir collaboré avec Bettina Samson en 2023 pour doter le répertoire de l’orgue d’un Groove créole qu’il a composé, X. Roumagnac a poursuivi en composant huit nouveaux morceaux rythmiques, présentés au public lors des journées du patrimoine 2024. Il s’agit d’un travail de composition atypique pouvant s’adapter aux spécificités sonores de l’instrument, ainsi qu'à sa justesse aléatoire et sa dépendance aux conditions météorologiques.
Les personnes intéressées par la singularité d’un tel travail de composition peuvent se rendre sur le site internet de Xavier Roumagnac.
Pour aller plus loin :
• consulter le livret : "La vase et le Sel"
• écouter sur France Musique (27 janvier 2023, 3 min) : "La vase et le sel", un orgue à vapeur sur les bords de la Garonne
SOUFFLER N'EST PAS JOUER... VRAIMENT ?

Sans « vent », l’orgue est un corps sans âme. Ainsi s’exprime l’auteur de l’article relatif aux soufflets de l’orgue, dans l’Encyclopédie en 1765 [1]. En effet, la musique de l’orgue est produite par la vibration de l'air pulsé dans les tuyaux, eux-mêmes mis en vibration.
À partir des années 1920, les ventilateurs électriques ont remplacé les souffleurs qui actionnaient les soufflets, ou se sont substitués à des dispositifs intermédiaires ayant suppléé les souffleurs dès la fin du XIXe siècle. Seuls certains petits orgues positifs ont conservé aujourd'hui une pompe qui alimente le soufflet, pompe actionnée par une pédale.
Les ventilateurs alimentent la soufflerie, élément de l'orgue rarement détaillé dans la description d'un l'instrument aujourd'hui. Pourtant, comme le mentionne Friedrich Jakob [2] « aux XVIIIe et XIXe siècles, on mentionnait souvent le nombre et la grandeur des soufflets en plus des divers jeux de l’instrument » dans la présentation d’un orgue.

Les "vents" sont extraits d'une gravure sur bois d'Albrecht Dürer, MET, (New-York), non datée

Mais parlait-on des indispensables souffleurs ? Quels souvenirs a-t-on d'eux à part quelques anecdotes ? Ces personnes, sans lesquelles l’orgue était muet, n’ont été en effet que peu évoquées, et que peu représentées, surtout après la Renaissance ; leur absence de qualification, leur labeur physique, répétitif et souvent exténuant, ne méritait sans doute pas de souligner leur rôle essentiel.
C’est pourquoi nous leur destinons ce clin d’œil, à la faveur d’images diverses et de textes
se rapportant aux divers types d'orgues.
ORGUE HYDRAULIQUE
Orgue hydraulique
Psautier d'Utrecht
(820-835)
Dessin à la plume, fol. 83

Image extraite du document numérisé par l'Université d'Utrecht
(le trait noir figurait sur l'image source)
https://psalter.library.uu.nl/page/173
ORGUE PORTATIF
Instrument posé sur le genou, ou maintenu le long du corps grâce à un baudrier.
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Sainte Cécile joue de l'orgue
Extrait de la partie gauche du
Retable de la Sainte Croix (1490-1495)
du Maître de la St Barthélémy
Wallraf-Richartz-Museum, Cologne
La main qui tient l'ageau
est celle du personnage voisin.
Un seul soufflet : l'organiste est aussi souffleur
L'organiste porte l'orgue ; il joue de la main droite et actionne le soufflet avec sa main gauche. L’orgue reste silencieux pendant que le soufflet aspire l’air.

Ange jouant de l'orgue portatif
(1400-1500), sculpture en calcaire
© Musée des Augustins, Toulouse

Jeune femme dans un paysage jouant de l'orgue portatif
Maître des anciens Pays-Bas (vers 1420)
© RMN-Grand Palais, Louvre/Thierry Le Mage
ORGUE POSITIF DE TABLE
Instrument "posé" sur une table. L'organiste et le souffleur sont placés de part et d'autre, assis ou debout.

Deux soufflets
L'organiste a besoin d'un(e) souffleur(euse) qui actionne alternativement
et régulièrement les soufflets.
Ainsi, aucune interruption de la ligne musicale.
Il existait diverses sortes de soufflets qu'on utilisait avec les mains ou les pieds.
Le joueur d'orgue et sa femme
Gravure de Israhel von Meckenem (1495-1500)
© Cleveland Museum of Art

Tapisserie de la Dame à la licorne : L'Ouïe
Musée de Cluny, vers 1490
© Thesupermat, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
ORGUE POSITIF
Instrument plus volumineux que les précédents, avec un plus grand nombre de tuyaux. Il est donc "posé" sur le sol.
Le Roi David entouré de musiciens
Enluminure représentant un orgue positif
avec le souffleur au premier plan
Psautier d'Élisabeth de Hongrie (1201-1208)
© Musée arch. de Frioul (Italie)

Organiste
Orgue positif
Image d'un psautier du XIVe s.
reproduction de N.-X. Willemin (1806)
dans Monuments français (1839)
© Gallica/BNF

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L'orgue accompagne le chant des élus qui pénètrent au paradis lors du Jugement dernier.
L'organiste et son souffleur sont des enfants.
Orgue positif
Enluminure médiévale (XVe s.)

Commentaires de André Pottier, auteur de l'ouvrage :« Notre orgue est garni de trente-quatre tuyaux, disposés sur deux rangs, et d’un gros tuyau isolé, qui sans doute fournissait, comme le bourdon de la vielle, un accompagnement de basse continue. L’organiste, en costume de clerc, est assis devant son clavier, que la position de l’instrument nous empêche de voir, et un frère servant, agenouillé à l’opposé, fait mouvoir alternativement les deux soufflets qui fournissent l’air au sommier de l’instrument. »
Sculpture du portail de la Dame Blanche
Cathédrale de León (Espagne)
(fin du XIIIe s.)

Orgue médiéval à douze soufflets, faits avec la peau de deux éléphants
Martin Gerbert,
De Cantu et Musica Sacra...
Sankt Blasien, 1774, T.II, p. 137
L'agrandissement des orgues positifs
s'est accompagné d'une multiplication des soufflets, et de la nécessité de faire appel à plusieurs souffleurs
Les soufflets de cet orgue (apparemment douze) s'assemblent en deux "conflatoria*", et deux porte-vent conduisent l'air aux sommiers.
L'organiste actionne des tirettes qui sont les ancêtres des touches du clavier.
* réservoirs que remplissent les soufflets

Miniature de la Bible d'É. Harding
(Cîteaux, 1109-1112, ms 14, fol. 13)
ORGUE DE GRANDE TAILLE
En 951, un orgue est consacré dans l'église Saint-Pierre de Winchester (dans le sud de l'Angleterre). Dotted Crotchet, dans un article publié en 1901 [3], évoque ainsi la description de cet orgue par un moine dans un poème écrit en latin :
"[Les 26 soufflets], par souffles alternés, fournissent une immense quantité de vent, et sont actionnés par soixante-dix hommes forts, travaillant de leurs bras couverts de sueur, chacun incitant ses compagnons à pousser le vent de toutes ses forces, pour que le sommier puisse parler avec ses quatre cents tuyaux que gouverne la main de l'organiste."

Orgue de Saint-Martin d'Halberstadt (1361)
décrit par M. Praetorius,
De Organographia, 1619
Soufflets actionnés au pied

Schéma de l'orgue français du XVIIIe s.
Dom Bédos de Celles, L'art du facteur d'orgues (1766) pl. LII
Soufflets cunéiformes actionnés à la main à l'aide de leviers
Les orgues comportaient un dispositif de communication entre l'organiste et le(s) souffleur(s). C'est "la sonnette pour le souffleur", qui est une clochette commandée par un des registres de l'orgue afin d'indiquer au(x) souffleur(s) le moment de mettre en route les pompes, l'organiste devant intervenir incessamment.

Les souffleurs de Notre-Dame (Paris)
L'illustration (1894)
Les souffleurs actionnent
les pompes à pied des soufflets mécaniques

"Marcel Dupré raconte..."
Bornemann, 1972, p.86
Comment Notre-Dame fut
dotée d'une soufflerie électrique
Dans ce texte, "Johnson" est Claude Johnson, alors PDG de la firme Rolls-Royce
Ce qui est relaté date de 1919.
Pour compléter ce clin d'œil, écouter sur France Musique : La petite histoire des souffleurs d'orgue (durée 2 min).
Références
[1] L’Encyclopédie, vol XV, 1765, P. 395 b – 397 b
Académie des Sciences, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie (l’ENCCRE)
[2] Friedrich Jakob, L'orgue, Payot, Lausanne, 1976
[3] Dotted Crotchet, The musical times and singing class circular, Vol. 42, n° 705, Nov. 1st, 1901, pp. 719-722.
MONSIEUR RÉ-DIÈZE ET MADEMOISELLE MI-BÉMOL
Un Conte de Noël de Jules Verne (1828 – 1905)
Publié dans Le Figaro Illustré de Noël 1893, n°45, pp. 221-28
Dans les textes ci-dessous, les phrases en italiques de couleur rouge foncé sont des citations du texte de Jules Verne.

Dans le bourg suisse de Kalfermatt, deux jeunes enfants, Joseph et sa chère amie Betty, dont « les voix se marient admirablement », appartiennent tous deux à la maîtrise d’enfants de l’église. Elle est dirigée par l’organiste Églisak, qui a « une tête en forme de contrebasse ». Ce dernier devenant sourd, les grandes orgues finissent par se taire six longs mois.
Pourtant, le 15 décembre, l’orgue se fait de nouveau entendre dans la bourgade. « C’était comme une tempête de sons qui en sortait. Les seize-pieds travaillaient à plein vent ; le gros nasard poussait des sonorités intenses ; même le trente-deux pieds, celui qui possède la note la plus grave, se mêlait à cet assourdissant concert… On eût dit que l’église n’était plus qu’un immense buffet d’orgues, avec son clocher comme bourdon, qui donnait des contre-fa fantastiques. »

Le vieil Églisak à l'orgue

Maître Effarane sortant de sa boîte les tuyaux des voix enfantines
Un Hongrois à l’aspect démoniaque, se disant accordeur et organier, flanqué de son valet et souffleur, homme trapu au « ventre en clef de fa », a pris possession de l’orgue. Prétendant s’appeler Maître Effarane, il convainc le curé qu’il va métamorphoser l’orgue de « vingt-quatre jeux, sans oublier le jeu des voix humaines » en y ajoutant un nouveau jeu, « le registre des voix enfantines ». Ainsi enrichi, l’orgue résonnera à Noël sous ses doigts.
Cet individu possède une boîte de flûtes de cristal, dont chacune doit donner la « note physiologique » qu’il s’applique à découvrir chez chaque enfant de la maîtrise, de façon à faire d’eux un « clavier vivant ». Le mi bémol est attribué à Betty, et le ré dièze à Joseph, notes identiques à l’orgue et pourtant séparées d’un comma, à la déception des enfants. Ainsi sont nés leurs surnoms ...
Le texte fait percevoir l’inquiétude grandissante de Joseph à qui la boîte aux voix enfantines fait l’effet « d’une cage pleine d’enfants que Maître Effarane élevait pour les faire chanter sous ses doigts d’organiste. »

Maître Effarane dirige les enfants vers les tuyaux...
Première et dernière page du manuscrit autographe de Jules Verne
© Ville de Nantes-Musée Jules Verne (photographie de Frank Pellois)
Sur la première page de son texte, Jules Verne a biffé « Un conte de Noël »…



La nouvelle de Jules Verne a été portée à l'écran par Jacques Trébouta et Robert Valey avec un téléfilm en noir et blanc, dont le titre est « L’orgue Fantastique ».
L’adaptation est de Claude Santelli qui a diffusé cette œuvre le 24 décembre 1968 sur la première chaîne de l’ORTF, pour la veillée de Noël.
Dans le film, les noms des personnages sont modifiés, sauf celui de Joseph. Eglisak devient Hartmann (Fernand Ledoux, à l'orgue historique d'Ebersmunster en Alsace), et Effarane est Takelbarth (Xavier Depraz). Claude Santelli résumait ainsi son interprétation du texte de J. Verne : « Les forces du Bien et du Mal s'opposent à travers deux conceptions de la musique ».
L'orgue fantastique
Jules Verne, né dans une famille musicienne, a reçu une solide éducation musicale. Comme son frère, il était pianiste. Féru de musique, il a écrit des chansons et a assidument fréquenté les cercles de musiciens.
La musique est très présente dans ses romans, beaucoup de ses personnages sont musiciens. Le plus célèbre est peut-être le capitaine Nemo de Vingt mille lieues sous les mers (1870) qui joue de son piano-orgue dans le Nautilus, la nuit seulement, une musique mélancolique et plaintive.

Jules Verne
9 février 1884
Photo d'Étienne Carjat
© Gallica

Le capitaine Nemo jouant la nuit dans le Nautilus
Vingt mille lieues sous les Mers,
Hetzel, 1871, p. 313
Illustration
de A.-M.-A. de Neuville
Pour en savoir plus sur Jules Verne et la place de la musique dans sa vie et dans son œuvre :
- France Musique, émission du 7 février 2021
- Dossier thématique "Jules Verne et la musique", site du Musée Jules Verne
NB. Les images en couleurs sont des illustrations du texte de Jules Verne publiées dans Le Figaro Illustré de 1893, et libres de droit.
ESTAMPES, MUSIQUE ET ORGUE



Un facteur d’orgues qui arbore un réchaud en tant que couvre-chef, sa femme coiffée et vêtue de tuyaux d’orgue… Un luthier portant un luth comme casquette, un facteur de trompette la tête dans le pavillon …Et tant d’autres artisans en tout genre, habilement affublés de leurs outils quotidiens ! Ainsi est constitué l’ensemble de quelques 190 gravures en couleur publiées, vers 1730, par l’éditeur et graveur Martin Engelbrecht (1684-1756), établi à Augsbourg. Fantaisie, humour et ingéniosité s’y conjuguent.




M. Engelbrecht est alors un acteur majeur à Augsbourg, ville franche du Saint Empire Romain Germanique. Prospère, cette ville est un important foyer artistique et l’un des principaux centres européens de publication de gravures ; les éditeurs exportent amplement à l’étranger, en particulier vers la France. Tant pour l’export, que pour s’adresser à l’élite éduquée non germanophone, M. Engelbrecht emploie la langue française en priorité devant l’allemand. Cela traduit le prestige culturel de la France.
Portrait de Martin Engelbrecht
par Philipp Andreas Kilian en 1742
Public domain, via Wikimedia Commons
Le titre français : « Assemblage nouveau des Manouvries habilles » (sic) précède donc le titre en allemand. Il est cependant est moins explicite que ce dernier (1), dont la traduction est : « Réunion récente d’artistes, artisans et de métiers habillés avec les outils propres à leurs métiers et artisanats ». De même, les légendes permettant de nommer les outils représentés sont données d’abord en français, puis en allemand, comme le montre le gros-plan ci-dessus.
(1) « Neu-eröffnete Samlung der mit ihren eigenen Arbeiten und Werckzeugen eingekleideten Künstlern, Handwerckern und Professionen »
La singularité de cette publication ne réside pas seulement dans le fait que les gravures, systématiquement en couleur, sont légendées en français et en allemand. Le plus original est, sans doute, que chaque métier est illustré par deux gravures, l’une consacrée à « Monsieur », l’autre à « Madame » dont l’attirail n’a rien à envier à celui de son époux. Aucun métier n’est considéré comme exclusivement masculin ou féminin.
Les historiens ont subodoré que M. Engelbrecht avait été influencé par les œuvres de deux graveurs français, les frères Larmessin (Nicolas 1er, 1632-1694 et Nicolas 2e, 1645-1725). Parues à Paris vers 1690 puis rééditées, connues sous le titre « Costumes grotesques », elles illustrent les divers métiers de la France sous Louis XIV avec des personnages composites faits, chacun, d’un assemblage des instruments emblématiques du métier dépeint. Les échanges constants des augsbourgeois avec la France, et les nombreuses contrefaçons de diverses gravures parisiennes réalisées à Augsbourg peuvent, en effet, le faire penser.
On estime que les créations des Larmessin ont été inspirées par les mascarades de la cour de Louis XIV, bals pour lesquels les participants revêtaient des costumes s’inspirant d’un univers familier, qui les métamorphosaient en êtres inattendus. Quant à la façon dont sont composés les personnages, elle relève de la manière d’Arcimboldo ce qui n’est, en revanche, pas flagrant chez M. Engelbrecht.
En outre, les Larmessin ne se sont pas spécifiquement intéressés aux métiers de l’orgue, ni même à ceux des autres instruments, mais seulement au « Musicien » constitué à lui seul d’un amalgame d’instruments de musique dont aucun n’évoque l’orgue. Ce n’est que dans une gravure préparatoire à la publication initiale de l’ouvrage, que Nicolas 1er use d’un petit orgue pour couronner la tête du musicien, ce dernier étant curieusement entouré du « Paticier » (sic) et du « Cuisinier », qui se tournent vers lui.


Nicolas 2e de Larmessin
Habit de musicien
Source gallica.bnf.fr / BnF
Nicolas Ier de Larmessin, Habit de Pâtissier, Habit de Musicien, Habit de Cuisinier, burin, 280 x 360 mm, vers 1687-1690 (?). BnF, Opéra, Rés-926 (11), fol. 35.
Les épreuves de ces gravures semblent constituer le premier jalon de la célèbre série des
Costumes grotesques. Pascale Cugy, 2020, http://journals.openedition.org/estampe/1416
Petite remarque finale : Karl Lagerfeld avait-il eu connaissance de la gravure de « La femme du facteur d’orgues » quand il a proposé pour Chanel, à l’automne-hiver 2008-2009 au Grand Palais, une collection inspirée des tuyaux d’orgues, dans un décor fait d’énormes tuyaux blancs ? Ou a-t-il été simplement motivé par son goût pour la musique d’orgue, associé à l’opportunité de réaliser des « tuyaux » qui, en couture, désignent des plis rigides et serrés, perpendiculaires au plan du tissu ?
Sources et précisions :
• Les gravures d'Engelbrecht sont dans le domaine public. La source est majoritairement la "Bayerische StaatsBibliothek". La gravure du facteur d'orgues vient du site de Bruxelles Ses Orgues. La taille des gravures est de l'ordre de 25 x 35 cm
• Article de Pascale Cugy cité ci-dessus
• Article de Philippe Poindront, https://www.persee.fr/doc/hista_0992-2059_2007_num_61_1_3198
• Mémoire de Acer Lewis, Martin's Engelbrecht Théatre de la milice étrangère, Vienne 2021
Merci à Michel Tissier d'avoir suscité la réalisation
de ce clin d'œil
LE FACTEUR D'ORGUE ALOYS MOOSER :
"L'HOMME AU CHIEN NOIR ET AUX MACARONS"
Dans la dixième des "Lettres d’un voyageur", George Sand relate la visite du trio romantique qu’elle forme avec Marie d’Agoult et Franz Liszt à l’église Saint-Nicolas de Fribourg en 1836, pour essayer le célèbre orgue dû à Aloys Mooser et achevé deux ans auparavant. La notoriété de Mooser, talentueux facteur d’orgue et de pianos-forte, est alors considérable.
Le jeu de Liszt magnifie l’orgue, et le musicien subjugue George Sand « … lorsque Franz posa librement ses mains sur le clavier, et nous fit entendre un fragment de son Dies irae [le Dies irae de Mozart] … nous comprîmes la supériorité de l’orgue de Fribourg sur tout ce que nous connaissions en ce genre … »
« Jamais le profil florentin de Franz ne s’était dessiné plus pâle et plus pur ... »

Grand-orgue de la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg, construit de 1829 à 1834, par A. Mooser qui en a réalisé le magnifique buffet néo-gothique. Cet instrument fut novateur tant par son remarquable jeu de Voix humaine que par le clavier d'Écho dont les jeux étaient placés sur le narthex. Il est devenu rapidement un des orgues les plus renommés d’Europe. En savoir plus.
Franz Liszt (1811 - 1886)
Compositeur et pianiste hongrois
Portrait réalisé par Henri Lehmann en 1839
Musée Carnavalet
Public domain, Via Wikimedia Commons

En revanche, l’attitude de Mooser, alors présent, ne bénéficie d’aucune indulgence sous la plume acérée de George Sand :
« Mooser, le vieux luthier, le créateur du grand instrument, aussi mystérieux, aussi triste, aussi maussade que l’homme au chien noir et aux macarons d’Hoffmann*, était debout à l’autre extrémité de la galerie, et nous regardait tour à tour d’un air sombre et méfiant. Homme spécial s’il en fut, Helvétien inébranlable, il semblait ne pas goûter le moins du monde le chant simple et sublime que notre grand artiste essayait sur l'orgue… »
* peu flatteur, sachant que cet homme, personnage du conte « La maison déserte » de E. T. A. Hoffmann, est ainsi dépeint par son auteur : « … un petit homme sec avec une face couleur de momie, un nez pointu, des lèvres pincées, des yeux de chat d’un vert étincelant, … »
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Aloys Mooser
(1770 - 1839)
Le syndic (équivalent du maire) de Fribourg ayant expliqué aux visiteurs que A. Mooser doutait de la qualité de son orgue, ce qui pouvait expliquer son attitude rébarbative, G. Sand écrit : "
"Mooser n’est pas content de son oeuvre, et il a grand tort, je le jure ; car, s’il n’a pas encore atteint la perfection, il a fait du moins ce qui existe de plus parfait en son genre".

Franz Liszt au piano en 1840
Tableau de Josef Danhauser
Staatliche Museen zu Berlin
Au pied du piano, Marie d'Agoult
Dans le fauteuil : George Sand
A gauche de G. Sand : Alexandre Dumas
Les personnages debout sont (de g. à d.):
V. Hugo, N. Paganini et G. Rossini
Le buste de Beethoven trône sur le piano
Public domain, Wikimedia Commons
Les citations (en rouge) sont extraites de :
George Sand, Lettres d’un voyageur, Lettre X publiée le 15 novembre 1836 par la Revue des Deux-Mondes
E. T. A. Hoffmann, Contes nocturmes, La maison déserte (1817)

UN ORGUE AU CREUX D'UNE MAIN
Insolite, cet orgue qui se présente comme une main ouverte dirigée vers le ciel dans l’église Notre-Dame des Neiges à l’Alpe d’Huez ! Baptisé Christophe-Raphaël, il doit son existence au père Jaap Reuten, prêtre hollandais à l’origine de la construction, en 1968, de l’église dont l’architecture, conçue essentiellement par Jean Marol, est elle-même audacieuse, en forme de tente soutenue par une tour-clocher.
Souhaitant doter l’église d’un orgue résolument singulier, le père Reuten l’avait soudain imaginé avec une forme de main lors d’un geste de Jean Marol qui, bras tendu et main ouverte, prenait un repère*. Le facteur allemand Detlef Kleuker, contacté par le prêtre, sollicita Jean Guillou qui conçut l’instrument malgré bien des avis contraires. Jean Marol en dessina le buffet construit en bois de frêne. L’orgue fut placé dans le chœur de l’église, au pied d’un puits de lumière, destiné à être entouré des fidèles et des auditeurs assis dans la nef en gradins.
Cet orgue est « original en tous points, car la composition sonore l’est encore plus que le contenant », souligne Jean-Paul Imbert*, son organiste titulaire. Ce dernier a pris la succession de Jean Guillou en 1993 qui, après avoir inauguré l’orgue en décembre 1978, en fut le premier titulaire. J.-P. Imbert, et l’association Orgues et Montagnes dont il est le directeur artistique, organisent de nombreux concerts ainsi que des stages d’été pour les organistes, mettant ainsi en valeur les qualités de cet instrument.
* communication personnelle de Jean-Paul Imbert

Jean-Paul Imbert
à l'orgue de N.-D. des Neiges
© O. Tsocanakis
Jaap Reuten : 1929-1992 Jean Marol : 1930-2010
Detlef Kleuker : 1922-1988 Jean Guillou : 1930-2019

Vue du chœur et de l'orgue de N.-D. des Neiges depuis le haut de la nef en gradins, avec le puits de lumière qui se détache de la charpente en bois
Crédit : jyhem. Source : Flickr / Creative Commons

L'orgue de N.-D. des Neiges,
volets de la boîte expressive ouverts
© É. Bardez
L'instrument
2 claviers de 61 notes (grand-orgue, récit expressif), pédalier de 32 notes,
24 jeux dont deux en chamade (à gauche l'intégralité du hautbois 8 du récit, rajouté en 1987 ; à droite, trompette 8 du grand-orgue, au-dessus du 2e fa dièse), combinateur électronique.
Détail de la composition: Inventaire des orgues
Les quatre doigts du haut de la main sont les tuyaux en bois de la flûte de 16 pieds du pédalier, les plus grands étant situés à l'arrière de l'instrument. Le pouce est le buffet d'une partie des tuyaux des jeux du grand-orgue. Les tuyaux visibles de la gauche de la paume appartiennent à la montre 8 du clavier du grand-orgue. À droite de la paume, les tuyaux placés derrière les volets de la boîte expressive sont ceux du clavier du récit ; les volets s’ouvrent et se ferment pour faire varier l’intensité sonore des jeux concernés.
"Sur la façade latérale gauche [non visible sur la photo], se trouvent les tuyaux de la magnifique flûte des neiges du clavier de grand-orgue" (J.-P. Imbert)

La console. © É. Bardez

En chamade : jeux de hautbois (à g. sur la photo) et de trompette (à d.)
Boîte expressive ouverte sur la droite
© É. Bardez
Pour en savoir plus :
• Site de Jean-Paul Imbert (avec les vidéos associées)
• Site Jean Guillou (géré par AUGURE)
• Site de l'association Orgues et Montagnes
• Jean Guillou, L’Orgue, Souvenir et avenir (Buchet-Chastel, 1978 ; puis diverses rééditions augmentées jusqu’en 2010)
L'ORGUE DU STADE ou L'ORGUE, DIEU DES STADES ?

© Tangopasso via Wikimedia Commons

© É. Bardez
© Auteur inconnu via Wikimedia Commons

© É. Bardez
ANDRÉ OBEY, écrivain, mais aussi pianiste talentueux et athlète accompli, était habité par un souvenir apaisant de l'école de son enfance, à l'origine de son essai de 1924 :
L'ORGUE DU STADE
"La même vision, chaque soir, me sauvait de l'enlisement : c'était, sur un rayon, la série des mesures d'étain –centilitre, double-centilitre, demi-décilitre...–
un petit orgue à sept tuyaux,
musicien du silence."
Lorsqu'il assiste aux épreuves d'athlétisme des Jeux Olympiques de Paris en 1924, imprégné de ce souvenir, il associe les "sept courses classiques : Cent, Deux cents, Quatre cents, Huit cents, Quinze cents, Trois mille, Cinq mille [mètres]" à "sept sons purs" émis par "sept tuyaux, inégaux et semblables" qui "chantent leur gamme de timbres : Hautbois, flûte, clarinette, voix humaine, trompette, cor et basson", "une symphonie de certitude [qui] émane de l'orgue".

© É. Bardez
Ce texte doit être compris dans le contexte de glorification du sport propre à l'entre-deux-guerres, et en prenant en compte l'amour de A. Obey pour la musique. La même année (1924), il écrit :
"Quant au sport, au cœur du sport, à l'athlétisme, je vous jure qu'il est musical, mieux, qu'il est musique"
(“D'un art sportif", L'Impartial français, Paris, 15-11-1924, p. 13)

Pour en savoir plus sur André Obey (1892-1975), né à Douai, poète, écrivain, dramaturge sous l'impulsion de Jacques Copeau, et connu pour sa participation à la Compagnie des Quinze créée dans la continuité de la troupe des "Copiaus" (1931-1935), suivre ce lien.
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André Obey
© Avec l'aimable autorisation de la bibliothèque
Marceline Desbordes-Valmore (Douai) - Ms 1852-95-1
L'ORGUE, DIEU DES STADES AMÉRICAINS
La plupart des clubs de base-ball, de basket et de hockey sur glace aux États-Unis (et au Canada) ont leur organiste attitré, qui accompagne les matchs sur un orgue numérique placé en haut des tribunes, souvent en improvisant (France Musique, 12 janvier 2021)
Citons l'organiste du club de base-ball, les New York Yankees : Ed Alstrom, qui depuis plus de 20 ans a succédé au légendaire Eddie Layton (1925 - 2004). Il joue au Yankee Stadium de New York (Bronx) les samedis et dimanches.
Le dimanche, il joue le matin à l'église et l'après-midi au stade sur un orgue Hammond.
Curiosité : il pratique le pédalier en chaussettes, celles du club : les Yankees Socks !

Photo de Ed Alstrom projetée sur le tableau d'affichage du Yankee Stadium pendant un match de base-ball
© Creative Commons CC0
Le base-ball ne sera pas présent aux J. O. de Paris cette année, alors qu'il était à Tokyo en 2021. Il faudra attendre la prochaine édition des Jeux en 2028 à Los Angeles pour le retrouver.

PAUL ET GERTRUD HINDEMITH RÉUNIS À L'ORGUE

© Avec l'aimable autorisation de la Fondation Hindemith de Blonay
Fonds Kokoschka 330.28 Zentralbibliothek Zürich
Paul Hindemith (1895 - 1963), compositeur et instrumentiste, est également un dessinateur de talent et un caricaturiste. Dans ses innombrables caricatures, il a pour habitude de représenter Gertrud, la compagne unique et l'amour de sa vie, sous forme d'un lion, signe du zodiaque de cette dernière.
La carte de Noël 1963, et de vœux pour 1964, qu'il a dessinée comme chaque année, est la dernière. Gertrud fournit à Paul le souffle indispensable à son épanouissement dans la musique. Cette carte est particulièrement émouvante quand on sait que son auteur décède brutalement le 28 décembre 1963.

Paul Hindemith et Gertrud en 1924, année de leur mariage. Fille de L. Rottenberg, chef d'orchestre de l'Opéra de Francfort, elle est chanteuse et violoncelliste amateur. Paul et Gertrud partagent leur passion pour la musique.
© Avec l'aimable autorisation de la Fondation Hindemith de Blonay
Michel Tissier a interprété la Sonate pour orgue n°2 de Paul Hindemith
le mercredi 24 juillet 2024, à l'orgue de Notre-Dame de Beaune
Les personnes intéressées par la biographie et par diverses informations sur Paul Hindemith sont invitées à se rendre sur le site de la fondation Hindemith.
HARMONIE DU MONDE NAISSANT
gravure extraite de Musurgia Universalis, vaste traité sur la musique baroque de Athanasius Kircher (1650)
T. 2, livre X, p 366

Source : IMSLP (Petrucci music Library)
Cette gravure est une des illustrations de l'article :"La symbolique des nombres dans l'œuvre de Bach" de Esther Assuied publié sur le site de Orgue en France
